C’est avec unanimité que la Guadeloupe a tenu à honorer la mémoire de Guy Pératout. Ceux qui ont écrit, ont dit que le joueur était talentueux et l’homme agréable. Mais Guy Pératout c’est bien plus que cela. Il a imprimé l’inconscient des amateurs de football qui ont eu la chance de le voir évoluer. Alors, paraphrasant Cyrano dans la tirade du nez, je déclare : « C’est un peu court…On pouvait dire… Oh Dieu ! … bien des choses en somme. »
Quand on pense à Pératout, les mots qui viennent sont plaisir, émerveillement. On l’a souvent qualifié de magicien. Le mot n’était pas trop fort car il a réussi à fasciner des milliers de spectateurs.
Guy était affable, correct, agréable, distingué… même humble. On pourrait s’en étonner, se demander comment il pouvait être aussi simple et naturel alors qu’il ne pouvait pas ne pas se rendre compte de l’admiration qu’il suscitait chez tous ceux qui l’avaient vu à l’œuvre. Nous avions, au quotidien, le sentiment de côtoyer un être d’exception.
C’était un jongleur hors-pair car la balle répondait toujours admirablement à toutes ses sollicitations. C’était aussi un des premiers à maîtriser et magnifier le contrôle de la poitrine. Ce n’était pas un athlète qui accélère ou qui se détend. Sa sureté dans le contrôle même dans les parties hautes de son corps, poitrine, épaule, tête lui donnait un avantage dans le jeu aérien, non pas pour jaillir ou chercher le duel mais pour reprendre le contrôle de la balle et la ramener au sol, domaine ou s’exprimait le mieux le jeu du Cygne.
C’était un jongleur aux pieds agiles. Il excellait dans toute la diversité des passes, lobées, liftées, piquées, en frappes sèches ou feuilles mortes. Guy était avant tout un dribbleur. Pas de déhanchement ni de rupture d’équilibre, il gardait toujours son port altier de longiligne. Sa spécialité était de faire naviguer la balle d’un pied à l’autre. Il vous l’offre et vous la reprend. A gauche, à droite, ou plutôt en l’air : « ou wey ou pa wey… » et cela n’excluait pas le crochet intérieur ou le râteau. N’oublions pas qu’à l’époque nos références étaient le football du Brésil et de l’Argentine (pied sur la balle, râteau, roulette…).
Il avait l’adresse brésilienne dans les pieds mais le port majestueux d’un danseur de Tango Argentin. Fier sur son axe, le bon danseur de tango est le maitre du jeu qui dirige sa partenaire mais qui se met à son service quand elle embellit la danse de ses inspirations. Il se crée, alors, un dialogue dans lequel il est tour à tour maître ou serviteur attentionné pour que la création du couple soit réussie. Ainsi, Guy avait, en même temps, le ballon tout à son écoute et un adversaire qui se refusait… Mais qui finissait souvent par se laisser subjuguer par les invitations du maître. Parfois il se rebellait et usait d’expédients pour ne pas être la cible des moqueries du public … davantage encore quand le duel se jouait côté tribune.
Son allure, son élégance avaient le don d’irriter les adversaires qui ressentaient sa facilité comme de l’insolence, de l’arrogance. Oui, voir évoluer Guy nous faisait comprendre que nous ne sommes pas égaux face au talent. Guy donnait du plaisir et se faisait plaisir. Alors il pouvait lui arriver d’abuser, de retarder la passe alors qu’il avait créé la brèche. L’artiste, parfois, se laissait griser par le plaisir de la création.
Guy Pératout n’est plus mais son art l’a rendu immortel dans beaucoup de cœurs.
Quand l’évènement était important et l’adversaire prestigieux Guy se sublimait et entrainait avec lui ses partenaires. Champion en 1972. Le Cygne a brillé au Stade du Lamentin contre le CA Montreuil. Il a été magistral contre le Club Franciscain à Capesterre. Il a fait le spectacle contre les Brésiliens de l’America FC. Il a écrasé l’équipe Nationale d’Haïti en tournée de préparation de la Coupe du Monde en Italie. Il a fait jeu égal contre les professionnels de Valencia et Deportivo Italia au Venezuela. A titre personnel Guy a brillé en 1971 avec la Sélection contre le Santos FC avec Pelé.
Guy n’a pas créé le style Cygne. Bien avant lui le Cygne se caractérisait déjà par un goût affirmé pour le maniement de la balle et la priorité accordée à la solution technique. Mais il est sûr que son passage a renforcé les convictions.
Le Cygne a régulièrement produit des joueurs de qualité. Certains ont influencé leur poste. Je pense à Gilles Bévert, un 10 animateur d’attaque à la fois clairvoyant et adroit face aux buts. Et surtout sans égal, dans la maîtrise de la reprise de volée. Il était aérien, léger, précis et inventif. Franck Louis, disciple de Guy, il en avait l’adresse mais pas la « folie ». En défense, le tandem Raymond Martin-Gérard Pinson a été une révolution technique et tactique. Et puis bien d’autres encore comme Lancastre ou Coicou dans les buts, Miltane James, les Colombo, Wills … des arrières-attaquants comme Fargeau, Raymond Germain…
Quand le football est joué d’une certaine manière, il crée des moments de vrai bonheur. Il enrichit la vie. Le Cygne a façonné, notre approche du football, un football qui ne vaut que si sa dimension artistique est préservée. Le Cygne c’était une identité de jeu, inspirée par une émotion esthétique partagée par tous, au-delà des joueurs, au-delà du football.
Ainsi, le Cygne excellait en basket et au hand avec les mêmes sensibilités.
Heureux football guadeloupéen qui avait engendré ce joueur d’exception qu’était Guy Pératout. Le plus extraordinaire c’est qu’à cette époque il n’y en a pas eu un mais bien deux car au Racing Club de Basse-Terre il y avait Michel Glaude. Glaude est parti en Martinique et a joué au Good-Luck. Les Martiniquais l’ont connu et en ont été conquis. Ces deux joueurs avaient la même allure, une dextérité égale, même s’ils en profitaient différemment. Les deux étaient aussi d’excellents basketteurs. En fait deux êtres bénis par les dieux du sport.
Dans ce registre le seul qui semblait être sur cette voie a ensuite été Frantz Désiré. On se souvient d’une rencontre à Basse-Terre (Cygne Noir – Juventus de Ste Anne) entre le maître Guy Pératout et Frantz tout jeune mais sans complexe, il avait lui aussi une maitrise admirable. Et puis, lui aussi, il est parti en Martinique dans une équipe tournée vers la performance, le CS Vauclinois. Désiré a réussi une belle carrière. Plus près de nous citons Franck Louis. Aujourd’hui CTR, ce fut un joueur merveilleux, avec une tendresse particulière de la part du Cygne car Franck a été formé avec Guy animateur de l’école du Cygne Noir. Mais, les temps n’étant plus les mêmes, Franck était un authentique footballeur qui ne se laissait pas distraire par les fantaisies « gratuites » …comme on dit aujourd’hui.
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